La Maison-Blanche avance rapidement sur un plan de paix négocié directement avec Moscou, laissant Kyiv et l'Europe en marge. Alors que des responsables américains arrivent en Ukraine et que Zelensky fait face à une pression politique et militaire grandissante, Washington semble prêt à présenter sa proposition comme un fait accompli.
Un accord de paix pour l'Ukraine pourrait être annoncé très bientôt - voire « dès cette semaine », selon POLITICO. Ce qui frappe d'emblée, c'est à quel point l'Europe semble écartée des négociations en cours. Un responsable américain cité dans l'enquête l'a dit sans détour : « Nous ne nous soucions pas vraiment de ce que pensent les Européens. » Dans le même temps, le scandale de corruption touchant l'entourage de Zelensky a affaibli sa position politique, augmentant la pression sur Kyiv à un moment critique.
Les derniers développements ont commencé lorsque des informations ont circulé à Washington sur la préparation d'un cadre de paix majeur visant à mettre fin à cette guerre de trois ans et demi. Un haut responsable américain a indiqué à la journaliste Dasha Burns qu'il s'attendait à ce que toutes les parties s'accordent sur les grandes lignes d'ici la fin du mois ou peut-être même dans les jours à venir.
Le rythme s'est ensuite accéléré. Les journalistes de POLITICO, Paul McLeary et Jack Detsch, ont révélé qu'une délégation américaine de haut niveau s'est rendu à Kyiv le 20 novembre, comprenant le secrétaire à l'Armée Dan Driscoll, deux généraux quatre étoiles et d'autres responsables militaires. Ils doivent rencontrer le président Volodymyr Zelensky et plusieurs dirigeants ukrainiens. Zelenskyy doit ensuite se rendre à Ankara pour discuter avec le président Erdogan. Jusqu'ici, il s'est contenté de dire publiquement que Kyiv avait reçu des « positions et des signaux » de Washington.
En parallèle, le journaliste d'Axios, Barak Ravid, a révélé que la Maison-Blanche et le Kremlin étaient engagés dans des négociations directes. Selon ses informations, l'envoyé américain Steve Witkoff a tenu trois jours de discussions à Miami avec le négociateur russe Kirill Dmitriev à la fin du mois dernier. De ces échanges serait sortie une proposition de paix en 28 points, et plusieurs responsables cités dans l'administration Trump évoquent une avancée majeure imminente.
Le plan
Selon plusieurs sources, le projet de proposition en 28 points, négocié lors des discussions entre l'envoyé américain Steve Witkoff et des interlocuteurs russes, regrouperait des mesures politiques, militaires et sécuritaires impliquant des concessions substantielles de la part de l'Ukraine.
Les informations disponibles indiquent que le cadre envisagé inclurait des compromis territoriaux, tels que la reconnaissance de la Crimée et du Donbass comme faisant partie de la Russie. Le plan prévoirait également des limites sur les capacités de frappe à longue portée de l'Ukraine, une réduction de la taille et de l'armement de ses forces armées, ainsi que des interdictions ou restrictions concernant la présence de troupes étrangères et de certains systèmes d'armes sur le territoire ukrainien. Il comprendrait aussi des garanties de sécurité destinées à répondre aux exigences stratégiques de la Russie.
D'autres concessions politiques et culturelles seraient intégrées, notamment un statut renforcé pour la langue russe et diverses reconnaissances internes, ainsi que des mesures visant à normaliser plus largement les relations entre les États-Unis et la Russie dans le cadre d'une architecture de sécurité européenne redéfinie.
Aucun de ces éléments n'a toutefois été publié sous forme de liste officielle, et Kyiv, comme plusieurs capitales européennes, ont contesté ou mis en garde contre ces informations rapportées.
Les Européens exclus
Ce qui étonne, c'est que ni l'Ukraine ni les alliés européens de Washington ne semblent avoir participé directement à l'élaboration de ce plan. Aucun détail n'a filtré sur la manière dont la proposition aborde les questions centrales : l'occupation de territoires ukrainiens, la déportation d'enfants ukrainiens, ou encore les garanties de sécurité post-conflit. Pourtant, l'atmosphère à Washington est confiante. Un haut responsable décrit le plan comme « raisonnable » et laisse entendre qu'il sera présenté à Zelenskyy comme un fait accompli. Selon eux, la vulnérabilité actuelle de l'Ukraine - militaire comme politique - rend l'acceptation plus probable.
Les partenaires européens, eux, semblent complètement mis à l'écart. « L'enjeu, c'est que l'Ukraine accepte », dit le même responsable. Dasha Burns souligne que, selon les responsables américains, la combinaison des scandales de corruption et de la situation militaire place Kyiv dans une position où elle pourrait accepter ce qu'elle refusait auparavant.
Côté russe, le ton est à l'optimisme. Dmitriev a déclaré à Axios qu'il se disait « optimiste » car « la position russe est vraiment entendue ». Il ajoute que la proposition va au-delà d'un simple cessez-le-feu : elle aborde aussi la restauration des relations États-Unis-Russie et les préoccupations sécuritaires russes, esquissant une vision de « sécurité durable » en Europe. Ce qui pose une question évidente : pourquoi l'Europe ne participe-t-elle pas à cette discussion ?
Avec un peu de recul, on voit clairement que nous sommes à un moment charnière du plus important conflit terrestre européen depuis des décennies, une guerre qui a bouleversé toute la conception de la sécurité occidentale et fait près de 1,5 million de victimes. Si ces informations se confirment, les négociations pourraient entrer dans leur phase décisive.
Ce serait aussi un moment crucial pour Donald Trump, qui avait promis de mettre fin rapidement à la guerre mais reconnaît désormais que la tâche est plus difficile qu'il l'imaginait. Un accord - quel qu'il soit - aurait un poids politique évident pour lui, à un moment où il est fragilisé par l'affaire Epstein. Pour les Européens, en revanche, « n'importe quel accord de paix » n'est pas un bon accord.
La suite dépendra des détails encore inconnus et, surtout, de la réponse de l'Ukraine. Si l'on se fie à ses déclarations passées, Zelenskyy refusera toute solution impliquant la cession de territoires souverains. Mais la pression diplomatique ne cesse de monter. En cas d'accord, un sommet Trump-Poutine - longtemps évoqué - suivrait probablement rapidement.
Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique
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